Question de Xavier :
Je me rends compte que j’ai toujours eu très dur à accepter et à vivre le deuil d’une rupture.
J’ai perdu mon papa à l’âge de 12 ans, j’en ai 40 et aujourd’hui je découvre que l’on m’a refusé d’aller voir mon père à la morgue pour lui dire un dernier “au revoir” et que cela peut créer un trouble qui peut se déclarer quand on est adulte, notamment la réflexion “Je n’ai pas droit au bonheur”, réflexion que je me fait souvent…
L’année passée, mon meilleur ami m’a fait un électro-choc, car cela faisait 6 ans que je ne parvenais pas à digérer une rupture, la fin d’un rêve, ou plutôt le résultat d’une décision prise en rapport à mon passé : ma copine (21 ans, moi 29) m’annonce un jour qu’elle est enceinte, nous n’avions pas de projet d’avenir commun, que fais-je ? Je ne peux vivre en sachant que j’ai un enfant quelque part, qui ne connaîtrais pas son père. Du coup j’ai pris mes responsabilités, en me disant que l’on pourrait être heureux, ce qui n’a pas été le cas car les bases n’étaient pas fondées, cela a tenu 3 ans…
Après 6 ans donc, je me suis décidé à me laisser vivre, à me tourner vers les autres. Je me suis retrouvé, convivial, joyeux et j’ai fais la connaissance d’une jeune fille de 22 ans. Une amitié est née… l’âge lui importait peu. On se téléphonait tous les jours, on se voyait souvent en toute amitié. Un jour je me suis rendu compte qu’elle avait pris une place importante dans ma vie, que j’en étais tombé amoureux, et qu’elle avait réveillé en moi des sentiments et des envies que je n’avais jamais vécu auparavant, l’envie de fonder une famille !!
Je lui ai avoué mes sentiments, cela l’a mise mal à l’aise, elle a coupé les ponts en disant que cela avait été trop loin, que ce n’est pas normal… Mais ou est la normalité ?
Aujourd’hui, je me sens totalement perdu, démuni, abandonné. Alors vient cette question : pourquoi n’ai je pas droit au bonheur ? Pourquoi ai-je si dur à accepter une rupture et à en faire son deuil ?
Ma réponse :
Vous êtes entrain de prendre conscience que votre vie s’est modelée sur la base de la blessure de cet enfant de 12 ans qui est en vous, et qui n’a pas pu dire un dernier “au revoir” à son père mort.
C’est ainsi qu’une croyance primale s’est gravée en vous : “Je n’ai pas le droit au bonheur puisque non seulement celui que j’aime me quitte, mais qu’en plus je n’ai pas le droit de lui dire au revoir”, et que vous passez votre vie à en vérifier l’exactitude.
Vous imaginant “prendre vos responsabilités”, en fait par fidélité pour quelqu’un qui a besoin de vous, et avec l’espoir idéalisé du bonheur possible (comment aurait-il pu en être autrement après ce que vous aviez vécu ?) vous vous engagez, d’une manière tellement irréaliste avec votre copine enceinte, que vous finissez par rompre trois ans plus tard.
Plus récemment, vous tentez de remettre de l’ordre en vous, en essayant de vous persuader de votre capacité à être heureux, mais sans remettre en cause votre croyance schématique primale. Là, vous faites la connaissance d’une jeune fille, et découvrez après quelque temps que vous êtes amoureux d’elle. Bien évidemment elle ne se doutait de rien, choquée, elle tombe des nues, ne comprend rien à vos sentiments à son égard, vous affirme votre anormalité et, finalement, coupe les ponts avec vous. Une fois encore, vous vous donnez à vous-même la preuve de la véracité de votre croyance schématique primale : les personnes que j’aime me quittent sans me donner l’opportunité d’un dernier “au revoir” ou d’une dernière explication avec elles.
Là, vous m’écrivez en proie à un fort sentiment d’injustice (“Mais où est la normalité ?”) et à des sentiments négatifs, vous vous sentez perdu et abandonné, sans plus aucune ressource, comme si la malédiction : “Moi Xavier, je n’ai pas le droit au bonheur” s’abattait sur vous.
Tant que vous n’aurez pas remis en cause votre croyance schématique primale, vous serez contraint d’en vérifier la pertinence.
Le travail de deuil reste impossible à faire pour celui qui n’a pas clarifié les causes profondes de sa souffrance, à savoir le sentiment d’injustice qui a été le vôtre et qui se répète inlassablement dans votre existence : injustice d’avoir perdu votre père à 12 ans, injustice de ne lui avoir pas dit “au revoir”, injustice de la rupture pour vous qui avez tenté de tout faire pour rééquilibrer une situation, injustice de celle qui a coupé les ponts sans vous laisser d’espoir alors que vous l’aimiez d’un amour généreux et sincère.
Cette soif de justice qui vous anime vous oblige à la répétition… et est le désir qui – en vous – est le principal obstacle à votre acceptation, donc à votre paix intérieure… et à votre capacité au bonheur.
Bien sûr que, comme je pourrais le dire à chacun de nous, vous avez – vous Xavier – le “droit” au bonheur. Mais il y a un “noyau dur” en vous, sans cesse alimenté par votre croyance primale qui – tant que vous ne vous y serez pas confronté – vous contraint à l’échec dans la relation aux personnes que vous aimez ou que vous voulez aimer.
Comment allez-vous vous y prendre pour “rompre la malédiction” ? Je présume que vous ne vous êtes jamais encore donné vraiment l’opportunité de dire “au revoir” à votre père du fond de votre coeur. C’est en tout cas ce que je crois que vous auriez à commencer de faire, dans un travail thérapeutique qui vous permettrait aussi de vous confronter aux obstacles émotionnels qui sont les vôtres.
© 2008 Renaud PERRONNET Tous droits réservés.
Moyennant une modeste participation aux frais de ce site, vous pouvez télécharger l’intégralité de cet article au format PDF, en cliquant sur ce bouton :
Compteur de lectures à la date d’aujourd’hui :
11 172 vues
ÉVOLUTE Conseil est un cabinet d’accompagnement psychothérapeutique et un site internet interactif de plus de 8 000 partages avec mes réponses.
Avertissement aux lectrices et aux lecteurs :
Ma formation première est celle d’un philosophe. Il est possible que les idées émises dans ces articles vous apparaissent osées ou déconcertantes. Le travail de connaissance de soi devant passer par votre propre expérience, je ne vous invite pas à croire ces idées parce qu’elles sont écrites, mais à vérifier par vous-même si ce qui est écrit (et que peut-être vous découvrez) est vrai ou non pour vous, afin de vous permettre d’en tirer vos propres conclusions (et peut-être de vous en servir pour mettre en doute certaines de vos anciennes certitudes.)