Réponse au découragement

C’est parce qu’on imagine simultanément tous les pas qu’on devra faire qu’on se décourage, alors qu’il s’agit de les aligner un à un.

Marcel Jouhandeau

Sans doute avez-vous déjà entendu l’expression proverbiale : « Il ne faut pas jeter le manche après la cognée ! » qui fait référence à une très ancienne histoire. Celle-ci raconte que dans une forêt profonde, alors qu’il cherchait à abattre un arbre, un bucheron a perdu le fer de sa hache (la cognée), qui s’était séparée de son manche et a disparu dans une eau profonde.

Désespéré, le bucheron a jeté le manche, oubliant par là-même qu’il lui aurait suffi de lui adapter un autre fer de hache pour pouvoir l’utiliser de nouveau.

Que s’était-il passé dans la tête de ce pauvre bucheron ?

Il avait été manipulé par son émotion !

Une émotion en cache souvent une autre, ici, au désespoir se surajoute le découragement. Désespéré d’avoir perdu sa cognée, ce bucheron ne trouve paradoxalement pas d’autre ressource en lui-même – en réponse à sa frustration – que de jeter ce qui peut lui être encore utile.

Le comportement de ce bucheron montre qu’alors qu’il est la proie du désespoir, se surajoute un découragement qui amplifie l’émotion première. Son découragement se retournant contre lui, l’oblige à croire qu’il est dorénavant pour lui inutile de poursuive la tâche qu’il se proposait d’accomplir. Il donne ainsi une dimension permanente et définitive à l’incident.

Son dépit est une amertume qui surgit en lui en conséquence de son refus d’accepter la réalité telle qu’elle s’est passée. Refusant que sa cognée se soit soudainement séparée de son manche, en proie à un mouvement de colère mêlée de chagrin, il est incapable de voir que son refus de la situation douloureuse installe sa douleur en lui en la pérennisant, en même temps qu’elle est un obstacle à sa résolution.

En vérité, quand, englués dans notre négativité, nous sommes incapables de voir les choses telles qu’elles sont, nous perdons tout sens commun, et devenons incapables de trouver un comportement rationnel face à une difficulté quelle qu’elle soit.

Pour revenir à notre bucheron, que pouvait-il faire pour ne pas aggraver la situation ? Commencer par prendre à bras le corps la réalité de ce qu’il vit (une émotion de découragement), donc voir et accepter qu’il est contrarié et déçu, ce qui lui permettrait de renoncer à se laisser manipuler par une émotion de découragement passagère et de pouvoir agir en cherchant à se procurer une autre cognée.

Tant qu’une personne reste inconsciente du fait que c’est le regard qu’elle pose sur une situation qui la désespère et non la situation en soi, elle ne peut qu’être la proie, la victime de sa croyance, qui lui dit que les situations désespérantes existent. En vérité il n’y a pas de situations désespérantes, il y a que des êtres humains qui désespèrent.

C’est notre obéissance à l’émotion de découragement qui fait que nous renonçons aux moyens qui sont les nôtres pour lutter contre une situation vécue comme désespérante. Cela – tant que nous ne l’avons pas vu et reconnu – nous contraint au risque de laisser la situation empirer.

Le découragement est une simple mécanique qui, quand elle nous envahit, provoque au renoncement à poursuivre la tâche même qui nous importait avant que nous n’en soyons la proie.

Ainsi une mère, désespérée de n’être pas parvenue à être à la hauteur des besoins de son enfant qu’elle aime, pourra – par découragement – ne plus chercher à entrer en contact avec son enfant, précisément au moment même où celui-ci a particulièrement besoin d’elle. Accablée par son assujettissement à son émotion, incapable de décoder la mécanique de son découragement à l’œuvre, elle se condamnera tragiquement à l’incapacité à être à la hauteur des besoins de son enfant, puis elle culpabilisera de n’être pas à la hauteur de son amour pour lui.

Le découragement n’est qu’un malentendu, il est l’émotion inhibitrice que nous vivons au moment où, parce que nous sommes déjà désespérés, une tâche nous apparaît comme insurmontable. Il nous condamne donc à intensifier notre relation à l’émotion de désespoir. Face à ce qu’il vit comme une impossibilité, l’être humain, à ce moment incapable de perspective, ne peut qu’abdiquer. Incapable de se souvenir qu’il vit dans l’impermanence donc que tout change tout le temps et que ce qu’il vit sous le coup de l’émotion comme une impossibilité, redeviendra possible quand il aura changé d’humeur.

Il serait assurément plus sage de savoir conserver son courage et son sang-froid face à une difficulté, en tenant compte de ce qui nous arrive pour pouvoir poursuivre avec persévérance le but qu’on s’était initialement proposé. Mais ce serait compter sans l’émotion qui nous garrotte et qu’il faut précisément commencer par accueillir pour parvenir à la dissiper en l’épuisant.

Se souvenir qu’en conséquence de la générosité de l’impermanence des choses, le possible reste toujours envisageable et que l’impossible reste impossible pendant un temps : le temps plus ou moins long que nous passons sous l’emprise du découragement.

Le meilleur moyen de se prémunir de l’émotion de découragement c’est de se souvenir constamment de son but, de maintenir à flot son intention première. Pour ne pas courir le risque de trahir notre but, nous devons veiller sans relâche à notre lucidité dans notre détermination à faire ce que nous nous proposons de faire, en même temps que de réfléchir aux moyens que nous allons employer pour l’obtenir.

Ainsi l’émotion est toujours mauvaise conseillère, et si nous sommes enclins à jeter le manche après la cognée, n’hésitons pas à la ramasser.

© 2025 Renaud Perronnet. Tous droits réservés.

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