La mentalité coloniale

La mentalité coloniale nous confronte nécessairement au tragique puisqu’elle est la mentalité du plus fort sur le plus faible, de celui qui méprise sur celui qui se sent méprisé. La mentalité coloniale est le totalitarisme de celui qui – parce qu’il se sent supérieur à l’autre (le colonisé) – est tellement persuadé d’avoir raison (ou plutôt d’être d’une « race » supérieure), qu’il est prêt à le massacrer pour parvenir à mener à bien ses propres projets.

La mentalité coloniale est très proche de celle qui veut faire le bien de l’autre malgré lui, donc sans son assentiment. La psychologie de la mentalité coloniale est d’être un narcissisme absolu, un « moi et mes valeurs d’abord » qui, par définition, ne peut pas prendre en compte la sensibilité de l’autre (le colonisé considéré comme inférieur, ou sauvage, en tous cas à éduquer selon les valeurs du plus fort) puisqu’elle prétend la connaître.
C’est ainsi que les clichés racistes de la mentalité coloniale obligent au mépris de l’autre, ils déshumanisent les peuples qu’elle asservit en même temps qu’elle prétend les priver de leur droit légitime à se défendre pour se faire entendre.

Les victimes de la mentalité coloniale peuvent difficilement persuader leurs colonisateurs de leur souffrance et de leur désir de liberté car c’est le propre de la mentalité coloniale que de croire qu’elle est la seule à pouvoir aspirer à la liberté.
Comme l’a écrit Montesquieu avec ironie pour dénoncer l’esclavagisme : « On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir. »

Dans son complexe de supériorité, la République Française, en 2021, a été, par exemple, incapable d’accéder aux besoins explicites des Kanaks de reporter un référendum d’autodétermination pour respecter une longue période de deuil après une épidémie de Covid-19 sans précédent qui avait ravagé sa communauté. Ne respectant pas les besoins spirituels et humains des Kanaks, l’État français est passé en force avec pour conséquence des votes à 96,50 % des voix contre l’indépendance mais avec une participation de 43,87 %. Référendum considéré jusqu’à aujourd’hui comme représentatif et valide par la France seule.

La mentalité coloniale c’est le sourire amusé du colonisateur sur ce qu’il ne parvient pas à comprendre des besoins du colonisé. Dans un tel contexte, convaincue de sa supériorité intrinsèque, cette mentalité parvient facilement à se persuader que l’autre n’est qu’un enfant, au pire un animal (le ministre israélien de la Défense, Yoav Galant, a récemment déclaré que les Palestiniens étaient des « animaux humains »), et qu’elle est la seule à mériter la considération propre à l’humain.
Quand le colonisé – se sentant disparaître – cherche à affirmer son existence en se rebiffant (parfois violemment, souvent à la mesure des maltraitances inhumaines du colon) – la mentalité coloniale dans une mauvaise foi qui lui est propre, lui reproche sa violence en le stigmatisant comme terroriste et en massacrant allègrement les « fauteurs de trouble » en retour. C’est ce qui s’est passé en 1878 en Nouvelle Calédonie, « lorsque le grand chef kanak Ataï a lancé avec ses hommes des opérations militaires contre les Européens. La répression est terrible. L’armée coloniale, les colons libres et pénaux, et leurs auxiliaires indigènes tuent 2 000 Kanak, soit 10% de la population de la Grande Terre de l’époque ; les autres sont déplacés sur la côte est de l’île. » explique Laurent Chatenay, ancien élu néo-calédonien dans une Tribune au Monde du 24/05/24.

Pour sortir d’un mal, il faut oser le considérer comme un mal. Pour sortir de la mentalité coloniale qui habite peu ou prou chacun d’entre nous, lorsque notre désir de domination nous pousse constamment à exercer notre supériorité contre l’autre, il faut commencer par voir, chez nous, cette mentalité à l’œuvre dans nos relations ordinaires.
Par exemple à travers le ton (hautain, condescendant, autoritaire…) que nous employons pour parler à nos enfants comme à nos proches. À travers la manière dont nous nous sentons souvent avoir raison contre les autres avec une telle évidence que nous suintons inconsciemment le mépris ou la mauvaise foi.
Parvenir à sentir que « l’autre est un autre », c’est pouvoir ne pas blesser son individualité et sa différence, c’est se donner le moyen de le respecter.
Puisque nous sommes constamment à l’épreuve de notre domination sur les autres, le seul moyen que nous avons de nous préserver de la supériorité intenable de notre propre mentalité coloniale est de décider délibérément – même si la marge de manœuvre est souvent étroite – de respecter ceux avec lesquels nous ne sommes pas d’accord en créant des relations avec eux, alors même qu’ils se méfient de nous, de manière à les apaiser et à faire en sorte que, petit à petit, le rapprochement puis l’entente triomphent.
Pour ce faire, il ne nous faut céder ni à la peur, ni au complexe de supériorité et ainsi permettre à ceux qui ne sont pas d’accord avec nous de l’être. Celui qui a compris que le dialogue est le seul rempart contre la barbarie de la mentalité coloniale ne le rompt jamais.
Dans une démocratie, c’est à la majorité au pouvoir de veiller constamment à ce que les droits des minorités soient préservés. À défaut, le désespoir des minorités triomphe et avec lui la tentation du terrorisme. Ce terrorisme pour qui la violence est le comportement émotionnel de celui qui – ne voulant plus subir – cherche à dominer à son tour et à se venger en passant.

Le véritable fort est celui qui osant sortir de la mentalité coloniale, cherche inlassablement à comprendre les mobiles et les besoins de celui auquel il est confronté pour s’y adapter et déterminer la justesse de son attitude en retour. Seul peut être juste celui qui tient compte de l’autre.
Les blessures portées par les hommes ne pourront guérir un jour que parce que nous leur aurons donné une chance d’être mutuellement reconnues. Il ne peut pas y avoir de comparaison (donc de rivalité) dans les blessures, puisque chacun porte ses blessures au cœur de lui-même.
Seule la reconnaissance des faits – de ce qui a eu objectivement lieu – peut apaiser les oppositions en soignant les blessures du passé. Si nous en sommes encore momentanément incapables, c’est que notre désir de vivre ensemble en nous respectant mutuellement n’est tout simplement pas assez fort.

© 2024 Renaud Perronnet. Tous droits réservés

Illustration :

Colonial Mentality, dessin trouvé sur Transcend Media Service

Pour aller plus loin sur ce thème, vous pouvez lire :


Moyennant une modeste participation aux frais de ce site, vous pouvez télécharger l’intégralité de cet article de 3 pages au format PDF, en cliquant sur ce bouton :


Compteur de lectures à la date d’aujourd’hui :

505 vues


CLIQUEZ ICI POUR VOUS ABONNER AUX COMMENTAIRES DE CET ARTICLE
Abonnement pour
guest

3 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Mathieu

Le texte et les pensées sont inspirant, et éclairant…et on y souscrit volontiers … Cependant, cela me semble éthéré , empli de bonnes intentions…auxquelles je voudrais bien souscrire,… Mais lorsque la réalité du mal est là, que faire, comment réagir ? Lorsque les attentats ont lieu au Bataclan et ailleurs? Lorsque le Hamas tue, viole, kidnappe des femmes, des enfants, etc? Lorsqu’une vague d’antisémitisme envahit l’occident, et le monde entier? Bien sûr , il y a les souffrances actuelles des palestiniens, et je m’opposerait avec force à des actions qui tient des civils, des enfants, c’est tragique, mais que faire… Lire la suite »

François

Être adulte c’est grandir donc sortir de cette logique morbide ? Se décentrer et combattre l’archaïsme binaire et criminel c’est travailler sur soi et ne pas devenir comme l’autre qui a perdu son humanité ?